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THE RAINBOW CAVE

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En février 2019, sur l’île de Hormoz en Iran.

On avait entendu dire qu’un jeune iranien était tombé quelques jours plus tôt d’une falaise et avait trouvé la mort en ayant pris du LSD. On avait aussi entendu dire qu’il existait une grotte et qu’il fallait absolument la voir, c’était la «rainbow cave». On avait refusé de prendre du LSD.

 

J’avançais pliée comme une centenaire avec ma chambre photo sur le dos, mon trépied en main, une frontale vissée sur le front. Mon spotmètre, cet appareil de mesure de lumière, râclait le sol en soulevant du sable. Je me traînais comme un vers qui soulève le sol, avec tout mon matériel, entre les grosses stalagmites et les stalactites. Je ne sais d’ailleurs jamais lesquelles de ces deux sortent du sol ou du plafond, mais peu importe car au final il n’y avait plus vraiment de haut et de bas dans cet endroit et dans cette histoire.

Cette grotte était tapissée de sel. J’avais l’impression de me retrouver dans le ventre d’un ogre qui avait dû succomber des suites d’un repas salé digne du plus grand amoureux de tous les temps. 

Au bout de quelques minutes, je me trouvais face à des murs de sel de toutes les couleurs, des milliers d’anneaux de Saturne du sol au plafond, scintillants, parsemés de petits cristaux. 

Je me retrouvais un peu projetée d’une sortie abrupte de la rainbow road dans Mario Kart, mais cette fois-ci, c’était bien réel. Après tant d’heures à voir tourner cette roue de vélo voilà que je me retrouvais un peu perdue là au milieu de ces chemins à parcourir ou de ces chemins parcourus. Ces strates du temps qui passe apparaissaient aussi comme les veines d’un tronc de bois qui aurait complètement été amplifié. 

J’imaginais l’eau qui avait régné bien avant par ici. 

Pendant combien d’années? Combien de temps me séparait de cette eau? Un temps si long qu’il me rendait absurde, minuscule, ridicule, moi, petite humaine gorgée d’eau, assoiffée qui pédalait presque essoufflée de paysage tant j’en avais traversés. Jamais rassasiée, moi avec cet appareil photo qui ressemble à un radar routier. C’est ça! je venais arrêter les chauffards de la rainbow cave avec mon radar! Arrêter les fous qui ne prennent plus le temps, en mesurant la lumière comme on mesure la vitesse, avec un autre appareil qui ressemblait cette fois-ci à un gros clitoris! La boule du spotmètre mesurait les lumens de ma lampe frontale pour exposer mon film. J’étais comme un drôle de phare mouvant sur le sable avec ma frontale, un phare qui mesure sa propre source de lumière pour capturer des routes dans une boîte noire, mon sacré trou noir de photographe, ma camera obscura.

J’expose le film, quatre secondes je crois.

Quatre ridicules secondes pour que l’obturateur avale cet instant pour l’inscrire dans la chimie du négatif avec quelques petits grains de sel, juste ici bien cachés.

 

Des années plus tard après avoir enfin développé l’image au retour de ce long voyage, je découvre alors ces petits "vers bleus" autour de l’image. Ces petites traces sinueuses, comme des petites cyanobactéries millénaires, c’est juste le sel qui s’est échappé de la rainbow cave et qui s’est glissé derrière le rideau de la cassette pour entrer dans la boîte de films exposés. Un sel voyageur! Ces grains de sel ont griffé l’émulsion du négatif avec la vibration de mon vélo en mouvement sur la route. Ces petits "vers cosmiques" qui sillonnent le temps soulignent le trajet de cette image latente qui traverse les pays sur mon vélo, qui traverse les années, cet instant figé de seulement quatre petites secondes d’un arc-en-ciel qui à l’échelle d’autres arcs-en-ciel, semble quant à lui, presque éternel.

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Clémentine Bossard

 

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Texte écrit en mars 2024

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The RAINBOW CAVE

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Installation in situ dans les ateliers de l'EDHEA, Sierre.

Photographie sur papier transparent 

Retroprojecteur

Texte: impression jet d'encre sur papier A4, Clémentine Bossard

Workshop avec l'artiste Joan Ayrton

2024

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